Lois et protection des citoyens
C’est en obéissant à la loi que les individus vivant en société ont la possibilité de vivre dans la liberté. Rousseau définit la loi dans son principe, comme expression de la volonté générale d’un peuple souverain. Il incombe au peuple législateur (ou à ses représentants) d’établir les lois avec la plus grande sagesse, en s’appuyant sur la raison, afin que la loi puisse être perçue non comme une contrainte mais comme la condition d’une liberté effective. C’est en ce sens que Rousseau peut écrire, dans le livre I du « Contrat social », que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». dans l’extrait qui suit, il insiste sur le devoir de protection qui incombe à l’État de droit envers ses citoyens.
« I) (…) C’est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté. C’est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l’égalité naturelle entre les hommes. C’est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique, et lui apprend à agir selon les maximes de son propre jugement, et à n’être pas en contradiction avec lui-même. (…) La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sévérité de leurs ministres, et la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée (…).
II) (…) Il ne faut pas croire que l’on puisse offenser ou couper un bras, que la douleur ne s’en porte à la tête ; et il n’est pas plus croyable que la volonté générale consente qu’un membre de l’État quel qu’il soit en blesse ou détruise un autre, qu’il ne l’est que les doigts d’un homme usant de sa raison aillent lui crever les yeux. La sureté particulière est tellement liée avec la confédération publique, que sans les égards que l’on doit à la faiblesse humaine, cette convention serait dissoute par le droit, s’il périssait dans l’État un seul citoyen que l’on eût pu secourir ; si l’on en retenait à tort un seul en prison, et s’il se perdait un seul procès avec une injustice évidente : car les conventions fondamentales étant enfreintes, on ne voit plus quel droit ni quel intérêt pourrait maintenir le peuple dans l’union sociale, à moins qu’il n’y fût retenu par la seule force, qui fait la dissolution de l’état civil.
En effet, l’engagement du corps de la nation n’est-il pas de pourvoir à la conservation du dernier de ses membres avec autant de soin qu’à celle de tous les autres ? Et le salut d’un citoyen est-il moins la cause commune que celui de tout l’État ? Qu’on nous dise qu’il est bon qu’un seul périsse pour tous, j’admirerai cette sentence dans la bouche d’un digne et vertueux patriote qui se consacre volontairement et par devoir à la mort pour le salut de son pays : mais si l’on entend qu’il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude, je tiens cette maxime pour une des plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventée, la plus fausse qu’on puisse avancer, la plus dangereuse que l’on puisse admettre, et la plus directement opposée aux lois les plus fondamentales de la société. Loin qu’un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens et leurs vies à la défense de chacun d’eux, afin que la faiblesse particulière fut toujours protégée par la force publique, et chaque membre par tout l’État ». (…)
III) Ce n’est pas assez d’avoir des citoyens et de les protéger ; il faut encore songer à leur subsistance ; et pourvoir aux biens publics est une suite évidente de la volonté générale, et le troisième devoir essentiel du gouvernement. Ce devoir n’est pas, comme on doit le sentir, de remplir les greniers des particuliers et les dispenser du travail, mais de maintenir l’abondance tellement à leur portée, que pour l’acquérir, le travail soit toujours nécessaire et ne soit jamais inutile. Il s’étend aussi à toutes les opérations qui regardent l’entretien du fisc, et les dépenses de l’administration publique. »
Jean-Jacques Rousseau (novembre 1755-« Discours sur l’économie politique »)
J.J.Rousseau (1712-1778), écrivain, philosophe, musicien, citoyen de Genève. Quelques repères parmi les très nombreux écrits de Rousseau (voir oeuvres complètes dans les trois volumes de La Pléiade) : 1750 Discours sur les sciences et les arts ; 1755 Discours sur l’origine de l’inégalité ; Discours sur l’économie politique ; 1761 : Julie ou la nouvelle Héloïse ; 1762 : Le contrat social ; Émile ou de l’éducation ; 1770 : Les Confessions ; 1776-1778 : rédaction des Rêveries du promeneur solitaire (publiées en 1782).
(http://aussitotdit.net le 31/03/2020)
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