« À l’égard des maladies, je ne répèterai point les vaines et fausses déclamations que font contre la Médecine la plupart des gens en santé ; mais je demanderai s’il y a quelque observation solide de laquelle on puisse conclure que dans les pays, où cet art est le plus négligé, la vie moyenne de l’homme soit plus courte que dans ceux où il est cultivé avec le plus de soin ; et comment cela pourrait-il être, si nous nous donnons plus de maux que la Médecine ne peut nous fournir de remèdes ! L’excès d’oisiveté dans les uns, l’excès de travail dans les autres, l’extrême inégalité dans la manière de vivre, la facilité d’irriter et de satisfaire nos appétits et notre sensualité, les aliments trop recherchés des riches, qui les nourrissent de sucs échauffants et les accablent d’indigestions, la mauvaise nourriture des pauvres, dont ils manquent même le plus souvent, et dont le défaut les porte à surcharger avidement leur estomac dans l’occasion, les veilles, les excès de toute espèce, les transports immodérés de toutes les passions, les fatigues, et l’épuisement d’esprit, les chagrins, et les peines sans nombre qu’on éprouve dans tous les états, et dont les âmes sont perpétuellement rongées ; voilà les funestes garants que la plupart de nos maux sont notre propre ouvrage, et que nous les aurions presque tous évités, en conservant la manière de vivre simple, uniforme et solitaire qui nous était prescrite par la Nature. Si elle nous a destinés à être sains, j’ose presque assurer, que l’état de réflexion est un état contre Nature, et que l’homme qui médite est un animal dépravé. Quand on songe à la bonne constitution des Sauvages, au moins de ceux que nous n’avons pas perdus avec nos liqueurs fortes, quand on sait qu’ils ne connaissent presque d’autres maladies que les blessures et la vieillesse, on est très porté à croire qu’on ferait aisément l’histoire des maladies humaines en suivant celle des Sociétés civiles. » (J.J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, première partie).
(https://aussitotdit.net/09/06/20/Un temps pour lire)