Pour en finir avec « les bonnes intentions »…
« Cette société s’exprime à travers l’art, la culture, la religion, le folklore, l’administration, la politique, la gestion, mais, de toutes ces perspectives nous retiendrons la vie économique, – l’être productif, l’atelier de fabrication et la consommation qui suit – comme la plus suggestive, la plus décisive, celle qui va nous poser les problèmes moraux les plus brûlants.
C’est la vie économique qui devrait préoccuper le plus celui qui se soucie des organisations optimales, puisque, selon nous, la morale ne doit pas débattre de questions générales relatives à la sagesse, à la vertu, au sacrifice, à la faute, mais rechercher le préférable et le meilleur. Le meilleur par rapport à quoi ? Par rapport aux individus, assurément, mais plus encore par rapport à l’existence unitaire (la société même), celle qui réserve à tous le moins de crises et de déchirures.
Mais n’est-ce pas alors mettre « la collectivité » au sommet de l’échelle des valeurs ou des fins ? N’est-ce pas aussi et en même temps, préconiser une théorie « objectivisée », tandis que l’acte moral, la vertu, relève surtout de l’intention ? Peut-on mettre entre parenthèses la personne et l’intériorité ? Il ne suffit pas, selon le moraliste, que j’agisse conformément au devoir, ou même que je cède à une impulsion émotive ; nous devrions agir selon le bien, pour lui seulement, Kant ayant travaillé à cette sorte de sanctuarisation.
Mais nous ne suivrons pas cette orientation : d’abord, peu m’importe le projet de celui qui donne au malheureux ; nous nous réjouissons de ce fait qu’il donne, parce que le don vaut mieux, quel qu’en soit le motif, que le refus ou la rétention. Toutefois nous nous inquiétons d’un système économique qui intensifie la pauvreté et pousse certains à demander l’aumône.
Cette intention qu’on met en avant – bien que l’enfer en soit pavé – a surtout permis aux philosophes idéalistes de fabriquer une morale vidée de son contenu (parce qu’un contenu, par définition, ne saurait s’universaliser). D’ailleurs, pour Kant, si nous sommes animés sincèrement par l’idée de donner (mais nous ne le pouvons pas, pour une raison bien simple : nous manquons de la moindre somme d’argent), nous sommes cependant tenus pour vertueux, et sauvés (moralement s’entend). L’intention suffit, à la limite…
Nous préférons et privilégions la réalisation. Nous nous méfions aussi des fins transcendantes et lointaines ; nous n’hésitons pas à avantager un programme limité, pourvu qu’il soit effectuable et concret.
Nous croyons remarquer dans nos sociétés des contradictions, des dysfonctionnements multiples, des violences même que nous devons mentionner dans un premier temps. Ensuite nous devons envisager les solutions à mettre en œuvre : laquelle retenir ? Quel monde vouloir où chacun pourrait être assuré de son développement ?
Les difficultés de la morale, que nous nous proposons d’exposer, ne résident pas dans son fondement mais plutôt, dans sa prétention scientifique ou expérimentale : en effet, il convient d’examiner d’abord les conséquences d’un choix ou d’un système (à venir). L’appréciation doit être objective encore qu’elle ne puisse être effectuée qu’en imagination (une anticipation). La morale n’est pas, ne doit pas être une affaire de simple préférence ou de choix ; elle doit emporter l’adhésion ; elle repose, en conséquence sur des « expériences virtuelles » ou des prévisions. Il est vrai qu’elle peut aussi s’aider de certaines pratiques qui déjà nous révèlent leurs insuffisances. Il n’en demeure pas moins vrai que nous devons instituer des « vérifications » malaisées : découvrir les effets présumés d’une hypothèse de réorganisation, lire à l’avance un avenir qui se dessine souvent par la force des choses, car il faut bien trouver une issue à des conflits qui se lèvent. À défaut de cette « confirmation approchée », au moins devons-nous aligner les « raisons » qui justifient le changement souhaité ».
François Dagognet (« Une nouvelle morale » 1998 – coll. Les empêcheurs de penser en rond- Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance la connaissance).
Quelques titres, parmi les très nombreux ouvrages publiés de François Dagognet : Philosophie biologique (P.U.F 1962) ; Le catalogue de la vie : étude méthodologique de la taxinomie » (P.U.F 1970) ; Des révolutions vertes : histoire et principes de l’agronomie. (Hermann, 1973) ; Une épistémologie de l’espace concret : néo-géographie. (Vrin, 1977) ; Mémoire pour l’avenir : vers une méthodologie de l’informatique. (Vrin, 1979) ; Faces, surfaces, interfaces. (Paris, Vrin, 1982) ; Etienne-Jules Marey : la passion de la trace (Hazan, 1987) ; La maîtrise du vivant : fondements d’une biopolitique. (Hachette Littératures, 1988) ; Rematérialiser : matières et matérialismes. (Vrin, 1989) ; Pour l’art d’aujourd’hui : de l’objet de l’art à l’art de l’objet. (Dis voir, 1992) ;Philosophie de la propriété : l’avoir. (PUF, 1992) Philosophie de la propriété : l’avoir. (PUF, 1992.) ; Réflexions sur la mesure. (Encre marine, 1993) ; La peau découverte. (Les empêcheurs de penser en rond, 1993) ; Pasteur sans la légende. Paris (Les empêcheurs de penser en rond, 1994) ; Pour une philosophie de la maladie, entretien avec Philippe Petit (Textuel, 1996) ; Des détritus, des déchets, de l’abject : une philosophie écologique. (Les empêcheurs de penser en rond, 1998) ; Considérations sur l’idée de nature (avec La question de l’écologie par Georges Canguilhem, Vrin, 2000) ; L’argent : philosophie déroutante de la monnaie. (Encre marine, 2011) ; Philosophie du travail. (Encre marine, 2013).
(https://aussitotdit.net/Un temps pour lire/22/04/2020)
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