« les droits de l’Homme rendent-ils idiot ? »

présentation de la conférence de Jean-Yves Pranchère par Jean-Claude Guerrini, le 9 mars 2022 :

« Cher Jean-Yves Pranchère, bonsoir. 

Je dirai quelques mots, avant de vous donner la parole, pour vous présenter au public stéphanois et pour situer la production de ce texte d’intervention bizarrement intitulé « Les droits-de l’homme rendent-ils idiots ? ». Ce petit ouvrage a retenu l’attention de notre association et nous souhaitions en partager la teneur avec les habitués de nos conférences. 

Votre intervention était initialement prévue dans la programmation de l’an dernier mais les conditions sanitaires nous ont contraints à en reporter la date.

Nous sommes ravis de pouvoir enfin échanger avec vous et nous vous remercions d’avoir fait le voyage de Bruxelles pour nous rencontrer. 

Mais au lendemain d’une journée internationale des femmes concurrencée dans les médias par l’actuelle démonstration viriliste de fureur guerrière en pleine Europe, je crois qu’il serait fâcheux de ne pas associer d’entrée de jeu la personne de Justine Lacroix à cette présentation. Elle a écrit ce texte avec vous, comme elle le fait d’ailleurs régulièrement puisque l’« écriture à quatre mains » caractérise une grande partie de votre production éditoriale à tous deux. 

Ce petit livre succède à un ouvrage plus fouillé Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, signé de vos deux noms, paru en 2016 aux éditions du Seuil. Il se trouve sur la table de presse avec d’autre ouvrages.

Justine Lacroix est politologue, elle enseigne à l’Université libre de Bruxelles où elle dirige le Centre de théorie politique auquel vous appartenez également. 

Ses intérêts de recherche portent sur les questions liées à l’Europe, au pluralisme et à la question de l’universel. Je cite quelques-uns des titres de ses ouvrages. Le premier est consacré au philosophe américain Michael Walzer, auteur de Sphères de Justice et s’intitule : Walzer : le pluralisme et l’universel (Paris, Michalon, 2001). Suivront : Communautarisme versus libéralisme : quel modèle d’intégration politique ? (Éditions de l’ULB, 2003) ; L’Europe en procès : quel patriotisme au-delà des nationalismes ? (Paris, Cerf, 2004) ; La pensée française à l’épreuve de l’Europe (Paris, Grasset, 2008).

Il est intéressant de voir la progression qui la mène de la tension entre universel et pluralisme, aux tensions nées de la prise en compte des échelons de rang inférieur, européen puis national (en l’occurrence français). Justine Lacroix intervient régulièrement sur les questions ayant trait au cadre politico-normatif de l’union européenne.

Venons-en maintenant à votre propre parcours : vous avez enseigné à la Faculté de philosophie de l’Université de Franche Comté, au Lycée franco-japonais de Tokyo, à Sciences-Po Paris et Science-Po Lille. Vous êtes actuellement professeur de philosophie politique à l’Université libre de Bruxelles. 

Votre thèse rédigée sous la direction d’Alexis Philonenko s’intitulait L’autorité contre les Lumières : la philosophie de Joseph de Maistre. Ce point de départ constitue un atout considérable pour la question qui nous occupe aujourd’hui : votre intérêt pour la pensée réactionnaire et contre-révolutionnaire du XVIIIe et du XIXe siècle vous a en effet permis d’apporter un éclairage extrêmement utile sur les débats contemporains. L’enseignement que vous dispensez à l’université de Bruxelles en porte d’ailleurs la trace :  

  • Les Anti-Lumières : la pensée contre-révolutionnaire du XIXe siècle et sa descendance contemporaine. Les différents types de critiques des droits de l’homme, du libéralisme et de la démocratie : conservatisme, traditionalisme radical, romantisme politique. 
  • Les liens de la politique et de la religion : Théologie politique et laïcité.

Vous avez publié dès 1992 aux éditions philosophiques Vrin, Qu’est-ce que la royauté ? qui commente un texte important de Joseph de Maistre. Vous avez consacré ensuite à ce même auteur un ouvrage plus complet L’Autorité contre les Lumières : la philosophie de Joseph de Maistre, chez Droz en 2004. Puis en 2012 vous avez publié, en l’accompagnant de commentaires, le livre majeur de Louis de Bonald, Réflexions sur l’accord des dogmes de la religion avec la raison (2012). Vous avez d’autre part rédigé un grand nombre de notices du Dictionnaire des anti-Lumières et des antiphilosophes, paru aux éditions Champion en 2017

J’ai remarqué aussi que vous avez traduit et présenté en 2017 un texte majeur du disciple de Leibniz, l’inventeur du terme d’esthétique, Alexander Gottlieb Baumgarten dont l’ouvrage s’intitule justement L’invention de l’esthétique. Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant au poème (1735). Même si le mot esthétique revêt chez cet auteur une acception différente de celle que nous lui donnons aujourd’hui, cela constitue sans doute une ouverture précieuse pour éclairer la dimension individualiste de la question des droits de l’homme.

J’ajoute que vous avez publié un nombre considérable d’articles dans des revues spécialisées ou grand public, notamment les revues Esprit, La Vie des idées ou Raison publique, sur des sujets tels que : la laïcité, le concept de populisme, de « démocratie illibérale » (auquel vous déniez toute consistance), les rapports des droits de l’homme avec le libéralisme, avec la pensée marxiste, et plus récemment sur les effets de la pandémie sur l’exercice de la démocratie. 

Alors, au vu de cette abondante production théorique et de ces interventions, une série de questions se présentent d’emblée à propos de votre plus récent ouvrage : Pourquoi avoir choisi ce titre incongru « Les droits de l’homme rendent-ils idiots ? » Y a-t-il vraiment une telle désaffection pour les droits de l’homme au point que l’on puisse parler de « Procès des droits de l’homme » (titre de votre précédent ouvrage) ?  Pourquoi êtes-vous, de plus, passé de la notion de « scepticisme », attribuée aux adversaires du « droits-de-l’hommisme », qui apparaissait dans son sous-titre (« Généalogie du scepticisme démocratique ») à cette qualification d’« idiotie » qu’on imputerait à ses défenseurs ? — Vous parlez même à leur égard, dans la 4ème de couverture, d’accusation de « crétinisme ». Il est temps de vous laisser la parole. Nous pourrons ensuite échanger et les questions viendront de la salle à partir des éclaircissements que vous nous aurez apportés. «