par *Coralie Pérez et Thomas Coutrot (éd. Seuil, 2022)
Présentation par Serge Proust (sociologue à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne) de la conférence de Coralie Pérez le 7 mars 2024, dans le cadre des Conférences de l’Hôtel de ville.
« Bonjour,
Pour qui écoutent nos dirigeants et certaines forces politiques, plutôt de droite, une des questions centrales de la société française serait la disparition de la « valeur travail » dont on ne sait jamais ce que signifie une telle expression.
En revanche, on peut souligner que cette expression accompagne et justifie une politique qui, en recherchant des économies dénonce les « assistés » et les « paresseux », et vise en priorité les catégories populaires placées confrontées à des difficultés d’insertion dans les marchés du travail. Il existe aussi un sous-texte qui oppose les Français qui travaillent et les assistés étrangers.
Il s’agit pour le gouvernement de réduire l’État social en obligeant les travailleurs concernés à accepter n’importe quel travail à n’importe quel prix alors que les études soulignent que ce type de mesure a plutôt des effets négatifs : baisse de la productivité ; effet d’éviction des moins qualifiés ; paupérisation croissante ; etc. L’annonce de ce mercredi par Bruno Lemaire de la volonté de l’État de prendre le contrôle total de l’assurance chômage s’inscrit d’ailleurs dans ce contexte cette décision de contrôle contribuant toujours davantage à réduire le rôle des organisations syndicales.
Dans ce contexte, un des grands mérites de l’ouvrage de Thomas Coutrot et de Coralie Perez est de souligner, en reprenant et synthétisant de multiples recherches, que le problème central est actuellement la perte « du sens du travail » et pour une très grande partie des travailleurs, quelle que soit leur spécialité et leur place dans les hiérarchies professionnelle. Beaucoup d’entre eux ne trouvent plus aucune utilité sociale à ce qu’ils font ou soulignent qu’ils sont placés dans des conditions ou leur travail n’a plus de cohérence éthique ; on peut penser ainsi aux salariés de nombreux EPAHD qui soulignent que, malgré eux, ils sont devenus, maltraitants. Les auteurs soulignent aussi l’importance de la crise du Covid car, à certains égards, elle a bouleversé, pour un temps court, l’ordre social en donnant à des groupes professionnels, placés dans le bas de la hiérarchie sociale, une importance première.
Mais ils soulignent aussi que l’organisation capitaliste du travail cherche en permanence, sous des vocables divers, à domestiquer le travail vivant, à soumettre ce travail aux exigences de la rentabilité.
Je m’arrête là pour laisser la parole à Coralie Pérez qui saura mieux que moi revenir sur les thèses principales de l’ouvrage. J’aurai quelques questions sur lesquelles je reviendrai si nécessaire au début des échanges qui suivront son intervention.
Comment éviter que la recherche du sens dans le travail débouche sur des fuites vers des activités plus ou moins marginales ou l’artisanat de service ?
A quelles conditions politiques pourrait se réaliser ce que vous souhaitez : réduire l’emprise du travail sur la vie des travailleurs ; « faire reculer la subordination » (139) et que signifie « faire reculer la subordination » en instaurant des espaces démocratiques.
Vous tracez une perspective « sociale-démocrate » et dans mon esprit ce n’est pas péjoratif, après tout le mouvement syndical, au-delà de tout verbalisme est le plus souvent social-démocrate, mais dans la phase actuelle du capitalisme quelles seraient les conditions de validité d’un tel projet ?
N’y a-t-il pas une contradiction entre le sous-titre qui évoque une « aspiration révolutionnaire » et les voies de sortie qui sont proposées ?
Les pistes que vous suggérez ne relèvent-elles pas avant tout d’un projet syndical et moins d’un projet politique ? »
* Coralie Pérez est économiste, ingénieure de recherche à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d’économie de La Sorbonne.