Conférence prononcée par Laurie Laufer le 1er février 2024 à Aussitôt dit dans le cycle des Conférences de L’Hôtel de ville.
Présentation par Bernadette Epalle :
« Laurie Laufer, merci de votre présence parmi nous ce soir, pour nous parler de votre livre, Vers une psychanalyse émancipée, publié en 2022 aux Editions La Découverte. Ce titre donne le diapason d’une mise en mouvement, qui invite à renouer avec la subversion. La fonction subversive première de la psychanalyse serait-elle menacée d’un certain vacillement, du fait que certains psychanalystes, exercent une psychanalyse qui selon vous « sans cesse répète » Freud et Lacan ? Pour le dire autrement, l’exercice essentialiste de la psychanalyse par certains, font que par ce livre vous proposez à ceux plus avant-gardistes, constructivistes, l’élaboration d’une pensée au service « d’une psychanalyse trans*figurée ».
Vous êtes psychanalyste, vous exercez la psychanalyse à Paris. Vous êtes professeure au département d’études psychanalytiques à l’université de Paris Cité. Vous êtes aussi directrice du Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et Société.
Parmi vos thématiques de recherche, certaines sont en résonance avec le livre qui nous réunit ce soir. Genre, sexualité, psychanalyse et modernité ; Traumatisme ; corps ; politique du sexuel.
Vous êtes aussi participante et intervenante à des journées d’études, colloques, séminaires, en France comme à l’étranger. Certaines de vos interventions sont l’objet de publications, dans des revues et autres cahiers psychanalytiques.
Enfin, il est possible de vous écouter ponctuellement dans les médias ou plus régulièrement sur les ondes radiophoniques comme dans l’émission « L’inconscient », un horaire dominical que vous partagez avec d’autres psychanalystes. Cetteémission estsuivie d’un podcast interactif avec les auditeurs.
En 2006, vous publiez au PUF, l’énigme du deuil ; en 2020 chez Epel, Généalogie du sujet, généalogie de la psychanalyse chez Michel Foucault, co-dirigé avec Sandra Boerhinger après Les aveux de la chair. Puis en 2021 chez Hermann, Murmures de l’art à la psychanalyse, dont vous êtes l’autrice. Effectivement l’artiste devance souvent le psychanalyste.
Dans l’Avant-Propos de votre livre, au-delà des clivages d’orientation d’Ecoles de psychanalyse, vous proposez que les torsions conceptuelles opérées par J. Butler, G. Rubin, M. Foucault, les féministes françaises, les penseuses et penseurs transgenres de tous pays, permettent une prise de risque épistémologiques. Ces torsions opèrent une percée dans la psychanalyse et ouvrent des voix/es d’émancipation vis à vis des dogmes psychanalytiques répétés à l’envi : comme la différence sexuelle, la féminité, le complexe d’Œdipe, le fantasme, la jouissance le Réel et quelques autres encore.
Certains psychanalystes dites-vous, ont accueilli et pris sérieusement cette percée dans la psychanalyse. Dans ce tourbillon ressourçant, vous proposez trois souffles, trois figures d’émancipation de la psychanalyse, qui permettraient l’amorce d’un frayage augurant d’une certaine nouveauté dans ce courant théorique qu’est la psychanalyse. Du nouveau, tel le concept de « variété sexuelle anodine » avancé par Gayle Rubin. L’enjeu de cette variété serait-il un jeu de construction de soi, du corps et des plaisirs, par le moi ?
J’ai été sensible au fait que vous placiez en ouverture à la lecture de votre livre, l’analyse faite par Jean Allouch à la suite de Foucault, de Picasso peignant « Les Ménines », le tableau du peintre Vélasquez » ; et que vous le refermiez par le passage « d’Alice, du pays des merveilles à, de l’autre côté du miroir ». Oeuvre littéraire de Lewis Carroll dont on sait son attrait pour les enfants. Peut-être en parlerez-vous ?
Pour introduire à la lecture de ces trois figures d’émancipation de la psychanalyse, vous écrivez : Les études de genre, Foucault, les féministes sont à la psychanalyse ce que Picasso est à Vélasquez.
Ceci met en exergue les différentes identités de genre qui outrepassent les cadres binaires de sexe et de genre. L’acronyme LGBTQI+ laisse ouvert le champ des possibilités dites-vous.
Dans cet « état des lieux » si je puis dire, dans le constat que vous faites ; il s’agit donc de percevoir et de distinguer à la fois l’enjeu et la fonction spécifiques de la psychanalyse. Enjeu et fonction de la pratique clinique en rapport à la thérapeutique ; et enjeu et fonction de la théorie analytique en rapport au politique. L’inconscient, c’est la politique, et la politique c’est l’inconscient disait Lacan, comme s’avancent à le dire encore certains analystes d’orientation lacanienne.
Pour opérer la métamorphose de la psychanalyse, votre livre propose d’en passer par une rétrospective de l’évolution du mouvement féministe depuis les années cinquante-soixante à aujourd’hui, avec l’hypothèse d’un certain ratage de la rencontre, entre psychanalyse et féminisme. Puis, se pose la question de la lecture de l’œuvre de Foucault « Histoire de la sexualité », qui serait d’une grande utilité à quiconque veut se préparer et se déclarer psychanalyste. Et cette lecture de Foucault jusqu’aux USA, aurait participé et participe encore à rendre plus visible, et donc à reconnaitre, les minorités sexuelles actuelles, qui ferait de la série LGBTQI+ un appui, un nom, nécessaires à la transformation de la psychanalyse.
Pour argumenter et soutenir le développement de chacune de ces trois figures vous mettez en résonance et articuler entre elles de nombreuses citations d’écrits d’auteurs. Sans être exhaustive on peut citer Jean Allouch – S. de Beauvoir – Judith Butler – Sam Bourcier – Antoinette Fouque – Freud – J. Kristeva – Lacan – Jean Claude Maneval – Clotilde Leguil – Gayle Rubin – … ainsi que certains de vos écrits antérieurs.
En 1964, Lacan revisite « les quatre concepts fondamentaux » freudiens que sont l’inconscient, la répétition, le transfert et la pulsion. C’est à ce moment-là qu’il ajoute la pulsion scopique à la liste des pulsions. Ceci au terme d’un développement sur la disjonction de l’œil et du regard et il pose ensuite la question de savoir, qu’est-ce qu’un tableau ?
En 1968, dans son séminaire « L’envers de la Psychanalyse » il déplie la production des quatre discours : le discours du Maître, le discours Universitaire, le discours Hystérique et le discours de l’Analyste. Le discours du maître représente l’inconnu (un x) dit-il, à élucider dans la relation maître – esclave puis dans la relation maître – hystérique.
En février 1973 dans son séminaire « Encore » il théorise ses formules de la sexuation qui créent une ligne de partage au sein du mouvement de libération de la femme, le MLF. Il intitule ce cours « Une lettre d’Âmour », amour avec un grand A qu’il chapeaute d’un accent circonflexe. Il inscrit au tableau quatre formules de la sexuation sous la forme d’un « tableau répartitoire des jouissances ». Deux à gauche, côté homme. Deux à droite, côté femme. « Qui que ce soit de l’être parlant s’inscrit d’un côté ou de l’autre » dit-il. Je vais m’arrêter là tout en posant la question de savoir ce qu’il en est du rapport à cet X présent des deux côtés, côté homme et côté femme, pour tout être parlant, qu’il soit hétérosexuel, homosexuel, ou trans ?
Autrement dit, n’y a-t-il pas en chacun des partenaires d’un couple quel qu’il soit, une forme de « bisexualité psychique » chère à Freud ? Et quand il y a un impossible à supporter, l’un ou l’autre de ces partenaires peut se risquer à franchir la porte du cabinet de l’analyste. Y restera-t-il ? s’engagera-t-il dans l’expérience ? Ni l’un ni l’autre ne le sait.
Il reste encore beaucoup à dire, alors je vous laisse la parole ».
(B.E)