« (Dé)construire la ville »

Ouvrage collectif sous la direction de P. Chavassieux, G. Gay, R. Kaddour, C. Morel Journel, V. Sala Pala, publié aux P.U.S.E (Presses Universitaires de Saint-Etienne- collection « Architecture » École nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne (novembre 2021)

Conférence prononcée le 5 mai 2023 à Aussitôt dit, dans le cadre des Conférences de l’Hôtel de ville, par Pauline Chavassieux et Georges Gay, co-directeurs de l’ouvrage précité.

Michel Rautenberg*, professeur émérite de sociologie à l’Université Jean Monnet, anthropologue urbain, spécialiste du patrimoine et des imaginaires sociaux, présente les conférenciers invités :

« Georges Gay est professeur émérite en aménagement/urbanisme à l’Université Jean Monnet ; grand connaisseur de l’histoire industrielle et de la géographie sociale stéphanoise ; mais aussi président du GREMMOS (Groupe de recherche et d’études sur la mémoire du mouvement ouvrier stéphanois) 

Co auteur de Sociologie de St Etienne et nombreux ouvrages et articles

Pauline Chavassieux est architete et docteure en aménagement et urbanisme ; elle a a soutenu une thèse intitulée Dé-construire la ville: pour une fabrique urbaine alternative. Lecture technique et socio-politique de projets de déconstruction à Saint-Etienne, Roubaix et Toulon (1970-2019) qui présente trois études de cas explicitant le rôle de l’architecte et nuançant la perspective de la reconstruction comme projet « alter ».

« Dé)construire la ville. Les villes en décroissance, laboratoires d’une production urbaine alternative« est à la fois un « bel ouvrage » richement illustré et un « bon livre » qui présente un travail fouillé, précis et documenté sur une notion à la mode chez les architectes, les urbanistes et les aménageurs, la déconstruction. Nous reviendrons en détail sur cette notion au cours de la présentation. En 4 parties, il associe des travaux universitaires (géographes, urbanistes, architectes, politistes) et de riches entretiens/témoignages avec des professionnels de la ville en comparant la situation française – le plus souvent stéphanoise- à ce qui se passe ailleurs, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Successivement sont abordés :

le rôle (central) des bailleurs sociaux dans la gestion des situations urbaines générées par la décroissance démographique ; 

la diversité des expérimentations qui montre la nécessaire souplesse des interventions pour s’adapter à la variété des terrains ; 

l’invention difficile d’un nouveau paradigme de l’urbain rendu nécessaire par la multiplication des situations de déprise urbaine et la déconstruction ;

la présentation de projets pédagogiques qui viennent en appui aux points évoqués plus haut et des réflexions plus générales sur les enjeux philosophiques, anthropologiques, politiques et sociaux de la déconstruction : le philosophe Jean Attali en appelle à relire et réactualiser le « principe espérance » posé par Ernst Bloch comme nécessaire à toute véritable révolution : c’est parce qu’on espère et qu’on expérimente qu’on trouve les ressorts sociaux et humains de se projeter vers un avenir qui sera nécessairement très différent parce que nous devrons avoir réglé les transitions démographique, environnementale et urbaine ; et la sociologue et politiste Valérie Sala Pala rappelle que toute solution ne pourra venir qu’après avoir désigné et analysé ce qui se passe dans les villes en décroissance. Il n’y a pas d’action publique efficace tant que les politiques publiques se cachent derrière le mythe de la « métropole attractive ». Il faut réapprendre à déconstruire sans reconstruire. 

Pour terminer cette rapide présentation de l’ouvrage, je voudrais souligner trois points qui m’ont semblé ressortir. 

L’ouvrage évoque à profusion les notions de décroissance, de déconstruction, de démolition… On voit aussi que le capitalisme est très souvent évoqué pour expliquer les transformations profondes que vivent les villes, les unes allant vers une métropolisation qui semblerait inéluctable pour survivre ; les autres prises dans l’engrenage de la décroissance. Ce serait probablement utile de clarifier tous ces termes qui n’ont pas forcément le même sens quand ils sont utilisés par les professionnels ou les politiques, ou par les chercheurs. J’ajoute une chose : on reste dans un vocabulaire de la perte, de la regression ; alors que le propos général de l’ouvrage est plutôt de montrer que la « déconstruction pourrait être une chance ». Ne faudrait-il pas trouver un autre vocabulaire, plus positif, plus en phase avec un « horizon d’espérance » (Ernst Bloch) qui permettrait de relancer l’adaptation des villes au monde nouveau qui s’impose à nous ?

Vous vous placez, suivant Harvey, dans l’idée d’une raison capitaliste à la croissance urbaine, que vous dénoncez (sans aller jusqu’au point de rupture de la métropole barbare de Faburel😉). Ne pourrait-on pas poser aussi  l’hypothèse que, en accompagnement au capitalisme, l’urbanisation récente (ou la métropolisation ?) serait un processus de régression civilisationnelle ? Celui-ci tiendrait à ce que la ville serait le terrain d’application privilégié des innovations de la société technicienne qui contribue à l’aliénation de l’humain, pour reprendre l’expression de Jacques Ellul ? Pour Lewis Mumford, alors que la ville avait été pendant des siècle le lieu de la « civilisation », elle serait devenue celui de la destruction de la société en substituant la machine ou la bureaucratie à la relation entre les humains. La responsabilité serait alors plus large que celle du seul capitalisme, comme on le voit de plus en plus souvent dans les sociétés totalitaires qui reviennent en force.

En résumé, peut-on sortir de l’indicibilité de la décroissance-  vue négativement- pour promouvoir un nouvel âge de l’urbain qui prendrait la (dé)construction comme une chance (ce que vous suggérez d’ailleurs), en particulier pour Saint-Etienne, en favorisant dé-densification, sociabilités et promotion des « civilités urbaines » ? disons une alternative au « no future » de l’urbain de Faburel (j’y reviens, désolé, mais la comparaison entre les deux ouvrages me semble s’imposer) ? »